C'était une de ces matinées où j'avais l'impression que deux choix s'offraient à moi : faire semblant d'être une femme heureuse, sexy et positive, ou me démonter la tête toute la journée au Tercian et au vin blanc.
En optant pour le deuxième choix, je savais d'avance que c'était le mauvais - et cette pensée avait un goût délicieux.
Dans un vingt-et-unième siècle qui perpétue obstinément la glorification du stakhanovisme et le culte mussolinien de la saine et sainte activité (j'échappe de justesse au point Godwin tasvu), ne pas ouvrir ses volets relève presque du terrorisme.
On est dans l'ère de l'humour obligatoire. Si tu n'as rien de drôle ou de choquant à dire, personne ne t'écoutera. En même temps, si la pression sociale ne nous forçait pas à dédramatiser, on serait certainement tous sous antidépresseurs - ah merde, c'est déjà le cas.
Ma pote Iris dit toujours qu'après la pluie vient le beau temps. J'acquiesce, parce qu'elle a un peu raison, tout en pensant en mon for intérieur que souvent, ce qui vient après la pluie, c'est le putain d'orage.
Au bout du troisième kick se fait sentir la nécessité de passer un morceau bien radieux, afin de mesurer précisément l'envergure du bon gros gouffre qui nous sépare du monde des vivants. Mais je sens déjà sous mes doigts vibrer l'envie de battre le rythme. Ce bâtard de Griz a samplé Santana et Tupac sur ce track, mon instinct de vie renaît et se débat. Je coupe le son. C'est drôle cette sorte de devoir de mémoire que l'on s'impose quand on est d'humeur lugubre, comme si l'on se devait d'être fidèle à son chagrin et que l'on s'interdisait de le trahir.
A la fin de ma bouteille de Chardonnay et de ma 53ème écoute de l'album Waiting for the Sun des Doors, je me dis dans un sursaut de sens commun qu'il faudrait que je me calme et que j'arrête de faire ma Bukowski hard-discount, sinon je ne pourrai plus jamais chiner de ma vie. Certaines conventions du jeu de la drague veulent en effet que l'on ne révèle pas ses névroses d'entrées de jeu et que l'on attende quelques semaines, voire quelques mois avant d'évoquer son syndrome de Münchhausen par procuration ou ses tendances nécrozoophiles.
Quand quelqu'un te plaît, tu le reconnais à ces symptômes : tu as envie de :
- finir tous les Final Fantasy avec lui
- partir en road trip sur une route poussiéreuse dans une Cadillac DeVille décapotable couleur framboise écrasée avec lui
- faire des crêpes avec lui (et que ça dégénère)
- te baigner dans une fontaine avec lui comme dans La Dolce Vita
- faire l'amour avec lui. Genre, PARTOUT.
- aller à la campagne pendant trois jours et boire du vin et faire du piano et v(i)oler un mouton
- le dessiner inlassablement. Dessiner sur lui.
- découvrir des villes avec lui. Sous LSD.
- faire des concours de grimaces
- organiser une fête clandestine dans une piscine municipale et passer la nuit au poste
- se battre dans la neige
- téma tous les Star Wars en bouffant des pizzas
- faire une jeu de piste géant qui s'étend sur plusieurs villes et qui finit en grosse dinguerie
- courir dans la rue tout nus
- partir en bateau n'importe comment
- faire des concours d'alcoolémie
- dormir dans un arbre
- détruire des chambres d'hôtel
- faire une strip bataille navale
- déjeuner chez les grand-parents sous champis
- lire dans un hamac en écoutant l'album des Norvégiens Team Me
- partir sur une plage de sable doré et sauter dans les vagues déchaînées au petit matin
...
Seulement voilà, il paraît que la vie est compliquée, que l'amour est risqué, et que les plages sont infestées de touristes importuns. En plus, c'est à croire qu'il y a une loi qui interdit le port de hauts de bikinis pour les vieilles catins décolorées avec des bzinz tombants.
Alors, on a beau crever d'envie de crier : "Tu pourrais pas me prendre la main au lieu de me prendre la tête? OU MEME ME PRENDRE TOUT COURT?", à la place, on continue à fixer les cendres de clope que l'on dispose minutieusement en petits tas égaux en maudissant le sien. (d'ego, il s'entend)
Ma génération a un problème d'audition. Au lieu d'entendre "pour vivre heureux, vivons cachés", elle a compris "pour vivre heureux, vivons camés." On n'a tellement pas confiance en nous qu'on n'ose même pas faire confiance aux autres. On a peur qu'il nous arrive quelque chose, alors que ce qui devrait nous effrayer, c'est qu'il ne nous arrive rien.
Allez les copains, ça suffit.
On arrête de faire les beaux avec nos sarcasmes, nos fashion statements minimalistes élégants et nos sonneries de portable "Dring vintage" alliant sobriété et efficacité. On redécouvre le potentiel du Comic sans MS décomplexé, de la gentillesse débile et du combo bouffe grasse + humour gras.
On écoute enfin ce que nous disent les Smiths : "It's so easy to laugh, it's so easy to hate, it takes strenght to be gentle and kind."
On ne veut pas de médiocrité, on ne veut pas de compromis, on ne veut pas de lâcheté. On veut de la rage, des orgasmes, du rythme, de la joie, de la fureur. On ne veut ni la pluie ni le beau temps, on veut un putain d'orage. On veut du putain de rock'n'roll.
Rouge
Rouge